Parashat Ki Tétsé – 5776 – Yéhouda Moshé Charbit
Parashat Ki Tétsé
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
La paracha ki tétsé énumère de nombreuses lois. En effet, soixante quatorze commandements de la Torah y sont cités. Ainsi, la Torah cite les lois concernant la guerre et les captifs, les lois d’héritage concernant les aînés, la règle à suivre pour le fils rebelle, l’obligation de rendre un objet perdu à son propriétaire, ou encore, l’obligation de protéger nos toits en y plaçant des barrières, ainsi que de nombreuses autres lois. Notre paracha, se conclut par la mitsvah de se souvenir de ce que nous a fait Amalek, en nous attaquant à notre sortie d’Égypte.
Dans le chapitre 22 de Dévarim, la torah dit :
ו/ כִּי יִקָּרֵא קַן-צִפּוֹר לְפָנֶיךָ בַּדֶּרֶךְ בְּכָל-עֵץ אוֹ עַל-הָאָרֶץ, אֶפְרֹחִים אוֹ בֵיצִים, וְהָאֵם רֹבֶצֶת עַל-הָאֶפְרֹחִים, אוֹ עַל-הַבֵּיצִים–לֹא-תִקַּח הָאֵם, עַל-הַבָּנִים׃
6/ Si tu rencontres en ton chemin un nid d’oiseaux sur quelque arbre ou à terre, de jeunes oiseaux ou des œufs sur lesquels soit posée la mère, tu ne prendras pas la mère avec ses enfants:
ז/ שַׁלֵּחַ תְּשַׁלַּח אֶת-הָאֵם, וְאֶת-הַבָּנִים תִּקַּח-לָךְ, לְמַעַן יִיטַב לָךְ, וְהַאֲרַכְתָּ יָמִים׃
7/ tu es tenu de laisser envoler la mère, sauf à t’emparer des petits; de la sorte, tu seras heureux et tu verras se prolonger tes jours.
Cette mitsva a fait couler beaucoup d’ancre et nombre de commentaires tentent d’en expliquer le sens. Au sens du Zohar (sur chémot, page 7b), cette mitsvah est en corrélation directe avec le machia’h : « En ce temps s’éveillera le roi machia’h pour sortir du jardin d’Éden, de cet endroit nommé קן ציפור le nid d’oiseau. Il se réveillera et se dévoilera dans la terre du Galil. »
Quel est le lien entre le machia’h et cette mitsvah si énigmatique ? Que recèle-t-elle en rapport avec la délivrance finale que nous attendons tous ?
Le Chem Michmouël (sur béchala’h, année 673) cite un midrach dont l’explication éclaircit notre propos. Le midrach rabba (chemot, chapitre 20, alinéa 4) écrit : « »et ce fut lorsque Pharaon renvoya (les bné-israël) ». Hakadoch Baroukh Hou a dit à Pharaon : J’ai écrit dans la torah : »Renvoyer, tu renverras la mère, et les enfants tu les prendras pour toi (concernant la mitsvah dont nous traitons) » mais toi, tu as renvoyé les pères et les enfants tu les a envoyés dans le fleuve. Moi aussi, Je t’envoie dans la mer et te détruis comme,il est dit : » Il a noyé Pharaon et ses soldats dans la mer des Joncs. » et Je prendrais ta fille pour lui faire hériter le Jardin d’Éden.’‘ »
Là encore la torah lie la mitsvah chilou’ah haken, avec un sujet sans lien apparent. Toutefois, le Chem Michmouël nous apporte une base de réflexion intéressante. Il explique pourquoi Dieu a placé l’être humain au-dessus de la chaine alimentaire ? La différence entre l’homme et le reste de la création se manifeste sur le plan intellectuel, car l’homme, de par son âme, est doté d’un intellect supérieur à toutes les espèces qui peuplent notre planète et qui évoluent dans une sphère plus matérielle. Par définition, l’intellect doit dominer sur la matière et à ce titre, l’homme , lorsqu’il fait primer la raison au corps, domine l’animal. Or l’attitude d’un oiseau assis sur son nid pour couver ses petits s’inscrit dans le cadre de la miséricorde, qui est une base de l’intellect, il en est même le prémisse lorsque nous prenons en compte que l’intellect est sensé servir le bien. À ce titre la torah enjoint au renvoi de la mère avant de prendre les œufs et les poussins. Car la mère de par cette attitude de miséricorde échappe à la domination humaine, car elle aussi s’inscrit dans un cadre intellectuel et s’aligne sur l’homme. Par contre les oisillons ne peuvent prétendre à cela et ne sont que de la matière dépourvue de réflexion. De facto ils entrent sous le joug de l’homme et deviennent sa propriété.
Partant de cette base, il s’avère que Pharaon et son peuple sont l’essence du matérialisme, car bien que dotés de l’intellect, ils n’ont pas assujettis leur corps à leur raison et se sont laissés dominés par le mal et leurs pulsions dont le massacre et les souffrances qu’ils ont fait subir au peuple sont la preuve. Il est intéressant de souligner que la torah met plus en avant le décret concernant la mise à mort des jeunes enfants que le reste des souffrances imposées au peuple. Ceci se justifie sur la différence profonde de domination qu’exerçaient les égyptiens sur les enfants que celle exercée sur les adultes. Les adultes étant dotés de cet intellect dont nous parlons, parvenaient à se détacher de l’emprise du mal que représentait l’Égypte. De fait, quand bien même Pharaon les a asservis, ceci n’était possible que par le décret d’Hachem à l’encontre du peuple, mais jamais Pharaon n’a pu dominer le peuple de façon à le soumettre psychologiquement. Par contre, concernant les enfants, les choses sont légèrement différentes dans la mesure où ils ne sont pas encore capables de raisonner, de dominer la matière. C’est pourquoi sa domination à leur égard était totale, il se plaçait sur eux comme chef absolu, d’où le décret de leur mise à mort et plus encore au vu de ce qu’enseigne le midrach sur les soins que Pharaon s’appliquait :
atteint de la tsaraat, il égorgeait 150 enfants matins et soirs afin de se tremper dans leur sang dans l’espoir stupide d’y trouver la guérison. Cette attitude rejoint donc parfaitement l’essence de la mitsvah de chilou’ah haken qui justement traite de cette domination de l’intellect sur la matière. Ceci est justement sous entendu par le midrach qui cite spécifiquement le nombre 150 est n’est autre que la valeur numérique du mot « קן le nid » pour insinuer que la mort de ces enfants n’était faisable que par la domination intellectuelle que Pharaon pouvait exercer sur les enfants, mais qui restait inenvisageable sur des adultes bien qu’esclaves.
Ceci nous fournit une explication édifiante sur l’impuissance absolue de Pharaon d’obstruer la route de Moshé. Dès sa naissance, les conseillers de Pharaon se rendent compte du risque que représente cet enfant et Pharaon attente à sa vie. Toutefois, la torah atteste de la spécificité de Moshé qui est la personnification de l’intellect, de la raison qui domine le corps. Le zohar atteste même qu’à la naissance de Moshé Hakadoch Baroukh Hou a joint Son nom à Moshé, car là déjà Moshé exprime sa raison de façon miraculeuse. À ce titre, il est le seul enfant contre lequel Pharaon ne peut rien.
Cela nous permet de comprendre la fin du midrach concernant la fille de Pharaon, à laquelle Hachem accorde le monde futur. Comme nous le savons, c’est elle qui a sauvé Moshé en le recueillant dans le Nil après que sa mère Yo’héved l’y ait déposé. Comme nous le savons, le décret de mort des nouveaux-nés était aussi justifié par la présence de Moshé dont Pharaon voulait s’assurer la disparition. Dans les faits, l’attitude de Yo’héved d’envoyer un nourrisson dans le fleuve semble périlleuse , cependant, la survie de nombre d’enfants en dépend car, en effet, c’est en plaçant Moshé dans le Nil que Yo’héved berne les astrologues égyptiens qui pensent Moshé mort. Le plan de Yo’hévéd marche justement grâce à son côté risqué. Naturellement, Moshé aurait dû suffoquer dans son berceau ou même se noyer dans le Nil. Cela met en évidence la survie miraculeuse dont il a bénéficié. Or, les astrologues n’obtiennent d’informations qu’en consultant les étoiles. Ces dernières sont à même de leur fournir des renseignements car elles sont l’intermédiaire par lesquelles Hachem répercute son action dans le monde. Du coup, les étudier c’est être capable d’analyser l’orientation du monde, et de facto de prévoir ce qui se produira. Toutefois, ceci n’est vrai
que pour la gestion »naturelle » du monde, car elle suit un procédé tel que nous venons de le décrire. Par contre, lorsque des miracles se produisent, un flux particulier de bénédictions modifie les structures standards et altère le cours naturel des choses. Il s’agit d’événements qui dépassent la nature et qui ne se répercutent pas sur les étoiles, les rendant indiscernables par l’étude de ces dernières. La survie de Moshé relevant du miraculeux ne peut être déchiffrée par les étoiles, qui dans une expression purement terre-à-terre affirment la mort de tout individu qui serait exposé à la situation de Moshé. Du coup, les astrologues sont convaincus que le libérateur est mort, alors que parallèlement Moshé bénéficie d’une survie surnaturelle.
Nos sages enseignent que lorsque Bitya est descendue dans le Nil et y a trouvé Moshé, elle était atteinte de la tsaraat comme son père, et c’est en récupérant le berceau qu’elle en a guéri. Or, puisque Moshé a survécu de façon miraculeuse cela signifie qu’Hachem lui a accordé un sursaut de vie, une énergie supplémentaire. Comme nous l’avons expliqué, l’état dans lequel Moshé évolue, même depuis sa naissance, est celui d’une expression parfaite de la raison et de l’intellect refoulant le matériel à sa plus faible expression. De facto, les forces de vie qui lui sont accordées pour sa survie miraculeuse doivent être en accord avec cela, et sont du même ordre. Bitya en tentant de sauver Moshé profite du flux qui l’entoure. Un principe connu de nos maîtres consiste à dire que lorsqu’une personne prie pour une autre qui se trouve dans le même besoin qu’elle, alors elle se voit exaucer en première. Bitya étant elle-même atteinte d’une maladie que la torah compare à la mort, en aidant Moshé, se voit répercuter son sauvetage : le flux de vie descendu pour sauver Moshé impacte d’abord celle qui cherche à l’aider et Bitya profite de ces énergies pour guérir !
C’est justement là que se trouve le point culminant du raisonnement du Chem Michmouël : la vie qui accompagne Moshé est purement dominatrice de la matière, un intellect parfait, qui se répercute maintenant sur Bitya. Du coup, cette dernière parvient à s’extraire de la matérialité égyptienne pour pénétrer le raisonnement divin à l’image du jeune garçon qu’elle sauve. C’est pourquoi notre midrach enseignait son accès au monde futur. À savoir qu’à l’image de l’oiseau qui par sa dévotion s’inscrit dans le cadre de la raison et ne peut plus être dominé par
les bné-Israël, Bitya ne peut plus être frappée des plaies affligées à l’Égypte. Par contre, son père et ses armées, sont comparables aux oisillons qui n’évoluent que dans la matière et qui peuvent donc devenir la propriété du juif. A ce titre, ils sont soumis à la noyade en tant que simple matière de ce monde.
Cette mitsvah du chilou’ah haken vient donc nous enseigner un message fort : celui de la nécessité de dominer la matière au travers de notre raison. Plus encore, l’exemple choisi à titre de démonstration est celui de la compassion, de la miséricorde de cette mère pour ses petits, car il s’agit là de l’amorce de la raison.
Cela rejoint le commentaire de Rabbénou Bé’hayé (dévarim, chapitre 22, verset 7) qui explique que cette mitsvah vient insister sur l’importance de s’éloigner de la cruauté pour se consacrer à la miséricorde.
Cela nous conduit à un commentaire du ‘Hatam Sofer (hatam sofer, année 691) qui évoque ici la prière de Yaakov lorsqu’il allait retrouver Essav son frère en route pour le tuer. À cet instant il formule la prière suivante à Hachem (vayichla’h, chapitre 32, verset 12) :
:הַצִּילֵנִי נָא מִיַּד אָחִי, מִיַּד עֵשָׂו: כִּי-יָרֵא אָנֹכִי, אֹתוֹ–פֶּן-יָבוֹא וְהִכַּנִי, אֵם עַל–בָּנִים
Sauve-moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main d’Éssav; car je crains qu’il ne m’attaque et ne me frappe, joignant la mère aux enfants!
Le ‘Hatam Sofer souligne que la formulation de la prière de Yaakov renvoie à celle de la mitsvah de chilou’ah haken : « לֹא-תִקַּח הָאֵם, עַל–הַבָּנִים׃ tu ne prendras pas la mère avec ses enfants » car Yaakov évoque ici la cruauté de son frère Essav prêt à tout pour le tuer.
Là encore le message est fortement marqué, dans la mesure où Essav symbolise la matérialité (son nom signifie »être fait » dans le sens où il a atteint le paroxysme de la matière) tandis que Yaakov est celui que la torah qualifie comme un « étudiant dans les tentes », l’homme de la réflexion. Ce que Yaakov tente donc de mettre en avant c’est cette promesse faite concernant la mitsvah de chilou’ah haken dans
laquelle Hachem promet « וְהַאֲרַכְתָּ יָמִים tu verras se prolonger tes jours. » en précisant que la raison domine la matière et donc la tentative d’Essav doit se solder par l’échec car c’est à lui de s’incliner devant Yaakov et son intellect.
Dans cette remarque du ‘Hatam Sofer se cache donc le moyen de faire incliner Essav et ses descendants, il s’agit de faire prédominer la miséricorde qui nous éveille à la raison. Ainsi, nous pouvons parvenir à vaincre Essav et son représentant, l’ange du mal, et dès lors nous amorcerons la venue du machia’h, comme ce que nous évoquions dans notre questionnement.
Rav Pin’has Friedman (shvilei pin’has 5773) apporte une remarque parfaitement en adéquation
avec notre propos. David Hamelekh, ancêtre de la lignée royale amenant à Machia’h, a justement écrit ses téhilim comme moyen de raviver la miséricorde. Il n’est pas anodin de noter qu’il en a écrit 150, soit la valeur numérique du mot « קן le nid » comme pour dire, que le moyen de faire venir celui qui réside dans le « קן le nid » , à savoir le machia’h (cf plus haut) est justement d’intensifier la miséricorde qui nous mène à faire dominer la raison sur la matière !
Yéhi ratsone qu’Hachem nous comble de Sa miséricorde et nous fasse rapidement sortir le machia’h de ce lieu si symbolique pour qu’il vienne nous libérer aamen véamen.
Chabbat chalom.
Y.M. Charbit