Parashat Dévarim (5775) – Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
PARACHAT DEVARIM
Le cinquième et dernier livre de la torah, résume les dernières paroles dites par Moshé rabbénou aux bné-Israël. À la veille de son retour auprès d’Hakadoch Baroukh Hou, Moshé connaissant le peuple, sait le risque qui se présente devant ce dernier, c’est-à-dire le risque de la faute. C’est pour cela, que le dernier livre de la torah ne se trouve pas être la parole d’Hachem, mais celle de Moshé lui-même, qui vient mettre en garde le peuple, dans son ensemble, concernant le risque de transgresser la torah. Ainsi, Moshé va reprendre successivement les étapes du voyage des bné-Israël dans le désert, et les réprimander pour chacune de leur rébellion contre Hakadoch Baroukh Hou.
Le livre de Dévarim commence par les versets suivants :
א/ אֵלֶּה הַדְּבָרִים, אֲשֶׁר דִּבֶּר מֹשֶׁה אֶל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, בְּעֵבֶר, הַיַּרְדֵּן: בַּמִּדְבָּר בָּעֲרָבָה מוֹל סוּף בֵּין-פָּארָן וּבֵין-תֹּפֶל, וְלָבָן וַחֲצֵרֹת–וְדִי זָהָב׃
1/ Voici les paroles qu’a dit Moshé à tout Israël, sur la rive du Jourdain dans le désert, dans la plaine, face à la mer de Souph, entre Parane et Tofel, Lavane et ‘Hatserot et Di-Zahav.
Le livre de Dévarim est un livre différent des autres dans la mesure où il n’est pas issu de la dictée de Dieu à Moshé, mais c’est Moshé lui-même qui le rédige avant sa mort. Rachi explique (cf verset 5) que lors de son discours face au peuple, Moshé a traduit la torah selon les soixante-dix langues des nations. À ce titre, il y a lieu de tenter de comprendre l’intérêt du procédé. Pourquoi Moshé prend-il le temps de transmettre la torah dans ces différents langages ? Quelle est l’utilité de la manœuvre ?
Pour tenter de comprendre il faut avoir une notion à l’esprit. Nos sages précisent que l’un des objectifs du discours de Moshé est la réprimande : il met en garde le peuple contre les fautes déjà commises afin de l’inciter à ne pas répéter les mêmes erreurs que jadis.
Partant de cela, nous pouvons amorcer une réflexion intéressante. Comme pour la majorité des années, notre paracha coïncide avec la période de deuil du beth hamikdach. Ceci n’est pas anodin et témoigne d’une correspondance entre le message de Moshé et celui de cette triste période. C’est par ailleurs ce que note le Kli Yakar. En effet, le premier verset de ce livre situe le lieu du discours de Moshé entre Parane et Tofel. Moshé place ici une allusion particulière concernant deux évènements graves de l’histoire du peuple. Ainsi, Parane renvoie aux explorateurs qui, à leur retour de la visite d’Israël, ont critiqué la terre et incité le peuple à refuser d’y entrer. Cet acte s’est produit le 9 Av. De même, Tofel fait référence à la faute du veau d’or, le jour où Moshé a brisé les tables de la loi. Cet événement est survenu à la date du 17 Tamouz. Moshé insinue donc aux bné-Israël que ces deux fautes encadrent le peuple et que la téchouva est nécessaire afin d’expier le mal qui découle de ces deux transgressions. Par contre, sans téchouva ces jours seront des jours de pleurs et de même qu’en ce temps nous avons dénigré la présence divine de par le veau d’or, de même nous perdrons le lieu de résidence d’Hachem. Plus encore, de même que nous avons pleuré sans raison refusant d’entrer en Israël, de même nous en serons expulsés.
Malheureusement, les bné-Israël ne suivront pas le conseil de Moshé et ce dernier en est conscient. Dès lors, les bné-Israël seront livrés entre les mains des goyim dont la vocation s’oppose à la pratique des mitsvot. En somme, le peuple sera en proie à une remise en cause de la torah, à une tentative de suppression de l’aspect spirituel du monde. Il est donc nécessaire de créer le moyen de faire perdurer la torah et son étude dans un monde hostile. C’est dans cette optique que le ‘Hidouché Harim explique l’attitude de Moshé. Ce dernier traduit la torah dans toutes les langues des nations car l’essence spirituelle de chaque peuple se trouve dans son langage. Chaque peuple représente une réalité qui, chacune à sa manière repousse la spiritualité et s’oppose à la torah. En traduisant la torah, Moshé crée un vecteur d’expression des forces du bien dans toutes les langues. Ainsi, le peuple juif, dans chacun de ses exils, aura le moyen de lutter contre les forces du mal qui l’entoureront. La torah pourra agir dans chaque endroit où les bné-Israël se trouveront et annulera les forces négatives qui s’opposeront aux bné-Israël.
Le Chem Michmouël (dévarim, année 675) explique l’impacte des fautes de l’homme sur son rapport à la torah. Ainsi, le talmud (traité nédarim, page 22b) enseigne: « si les bné-Israël n’avaient pas fauté, il ne leur aurait été donné que les cinq livres de la torah ainsi que celui de Yéhochoua car il contient les frontières d’Israël ». C’est donc nos égarements qui nous ont valu la multiplication des textes. Après Yéhochoua, le reste des textes n’aurait jamais du voir le jour.
Ceci semble étrange: nos fautes augmentent la quantité de torah?! Comment comprendre ce paradoxe?
Bien évidemment, le sens de ce texte n’est pas celui qui nous lui avons donnés. Il s’agit en faite de savoir que lors de la réception de la torah, les bné-Israël, entendant directement Hachem parler, pouvaient percevoir le texte et chacune des explications qui en découle. Au point que seuls les dix commandements suffisaient pour accéder à l’ensemble de la torah ! Cependant, lorsqu’ils ont demandé à Moshé de faire l’intermédiaire entre eux et Dieu, ils ont perdu la possibilité d’accéder à un tel niveau, c’est pourquoi la torah a pris une forme plus allongée, celle des cinq livres. Toutefois, en l’état, seuls les cinq livres suffisaient et le peuple était parfaitement capable d’en saisir tous les secrets sans nécessiter plus de détails. C’est en faisant le veau d’or que les bné-Israël ont perdu la lumière qui leur permettait de lire entre les lignes de la torah. La faute a engendré une nécessité nouvelle pour le peuple hébreu, celle de l’explication, du détail. La faute a créé une distance entre la torah écrite et la torah orale, d’où la nécessité au fil de l’histoire pour nos sages, de relier les deux versions de la torah. Il s’agit là d’une des premières fonctions de la guémara qui cherche en permanence une source de ses enseignements dans l’exégèse. C’est d’ailleurs là le fondement du livre de Dévarim qui réalise la jonction de l’oral et l’écrit!
Les enseignements du ´Hidouché Harim et du Chem Michmouël révèlent toute la profondeur de ce dernier livre de la torah: permettre l’union de la torah écrite et de la torah orale et ce, dans toutes les configurations possibles, hébreu ou traduites. Par ce fait, les bné-Israël auront les armes pour lutter en exil.
Cela met en relief un enseignement du Sfat Émet (dévarim, année 641). En effet, il existe plusieurs niveaux dans le dévoilement de la torah. De façon générale, chacun de ces niveaux nécessite une « opposition », une sorte de combat et de difficulté pour être dévoilé. Ainsi, la torah écrite est dévoilée sur le mont Sinaï après les souffrances de l’exil d’Égypte. De même pour la torah orale que dévoile Moshé dans notre paracha qui fait suite à plusieurs voyages et plusieurs guerres. De même le midrach atteste que l’opposition de Moshé face à Bilaam ainsi que la guerre qui a mené à sa mort, ont élevé Moshé à un niveau supérieur.
En appliquant cela à ce que nous venons d’expliquer, l’opposition des bné-Israël aux différentes nations par lesquelles ils passeront, sera finalement une élévation, une amélioration profonde de l’état du peuple ! Ceci connote parfaitement la notion de tikoun, de réparation des fautes. Et c’est le message de Moshé tel que nous le dévoile le Kli Yakar : si vous faites téchouva alors aucune souffrance ne nous atteindra. Par contre, dans le cas contraire, alors il y aura des pleurs et vous serez exilés. Pourquoi l’exil est le pendant négatif de la téchouva? Car les deux ont la même fonction. Soit nous réparons nos fautes de nous même, soit nous le ferons de façon forcée, en étant exilés et opposés aux nations qui nous élèveront!
Il est d’ailleurs remarquable de noter que deux textes du talmud ont été écrits : la talmud yérouchalmi et le talmud bavli. Le premier est issu des sages de Yérouchalayim et le second vient des sages de Babylonie. ‘Hazal enseignent que la torah est plus puissante en Israël qu’en ‘houts laarets, et pourtant, de façon surprenante, la hala’ha, la loi juive, se base sur le talmud bavli au détriment de celui de Yérouchalayim! Ceci s’explique sans doute par ce que nous venons de dire. À savoir que l’opposition permet un dévoilement supérieur. Or les sages se trouvant en Israël bénéficiaient de la sainteté sans égale du pays contrairement aux sages exilés. La compréhension de la torah est donc beaucoup plus aisée en Israël que partout ailleurs et toute personne ayant étudié en Israël sait à quel point cela est vrai. Il ressort donc que les sages de Babylonie étaient contraints à beaucoup d’efforts pour comprendre la torah ! La confrontation était donc supérieure et de facto, le dévoilement était en conséquence plus puissant !
Cela nous amène à un second enseignement du Sfat Émet (année 634). Nos sages enseignent que chaque génération durant laquelle le beth hamikdach n’est pas reconstruit est considérée comme si elle l’avait détruit. Ceci est difficile à concevoir car de grandes générations nous ont précédés et elles n’ont mérité pour autant la reconstruction du beth hamikdach. C’est pourquoi, il convient d’expliquer les choses autrement. En réalité, chaque génération, de par son action positive, s’associe avec la suivante afin de préparer la délivrance finale. Car il est impossible de dire que la dernière génération soit à ce point méritante vis-à-vis des précédentes. Seulement chaque génération participe à la reconstruction du temple et cette entreprise s’étend sur toute la durée de l’exil. Et le sens de l’enseignement de nos sages est le suivant : chaque génération doit accomplir une étape supplémentaire par rapport à la précédente. Si elle ne le fait pas, alors toute la période d’existence de cette génération n’est pas comptée dans la construction du temple. Cette génération, au lieu de faire progresser l’édifice le fait régresser, elle est destructrice!
Il ressort de tout cela une notion extraordinaire. Puisque l’opposition est proportionnelle au dévoilement qui en résulte, nous pouvons facilement en conclure que plus nous avons souffert, plus nous avons fait avancer la reconstruction du beth hamikdach. À ce sujet nous ne pouvons qu’être rêveur. En effet, le Gra (cf likouté hagra, éven chelomo) apporte une lumière extraordinaire sur le livre de Dévarim. Ce dernier est composé de onze parachyot qui n’en sont en fait que dix, car les parachyot de nitsavim et de vayélé’h sont liées. Ainsi, le Gra nous dévoile que ces dix sections sont une allusion de Moshé pour chacun des siècles du dernier millénaire ! Chaque paracha de ce dernier livre de la torah recèle les secrets de ce qui se passera durant chacun des dix derniers siècles de l’histoire. Il s’avère que les plus grosses souffrances des derniers temps ont eu lieu durant la première guerre mondiale en 1914 et surtout durant la shoah. Durant cette dernière et triste période, les lois raciales ont débuté en 1935 tandis que les meurtres ont commencé en 1938 avec la nuit de cristal pour pleinement s’installer en 1939. Toutes ces dates interviennent dans le calendrier hébraïque durant le septième siècle du sixième millénaire (lois raciales: 5695, nuit de cristal: 5698, camps de concentrations: 5699). Au vu des propos du Gra, il n’est pas étonnant de noter que la septième paracha de Dévarim, celle qui cache les secrets du septième siècle, ne soit nulle autre que celle de ki tavo, dans laquelle toutes les malédictions du peuple hébreu sont inscrites !
Toutefois, de ces tristes évènements ressort une note d’espoir. La shoah a pris fin en 5705, à savoir dans le huitième siècle qui correspond aux parachyot nitsavim-valéyé’h. Une analyse complète de ces parachyot mettrait les choses plus en relief mais cela n’est pas faisable dans le cadre de ce simple développement. Toutefois, de façon simpliste la paracha de nitsavim traite de l’alliance que nous passons avec Hachem. Au cours de cela, la torah dit (chapitre 29, verset 15): « Car vous savez comment nous avons résidé en pays d’Égypte et comment nous sommes passés au milieu des peuples par lesquels vous êtes passés. » Ceci peut facilement être compris dans un contexte plus large en parlant des pays que le peuple juif a traversés au cours de son histoire. Dès lors, la paracha poursuit en conseillant de ne pas faire l’erreur de penser que nous sommes maintenant hors d’atteinte, car cela provoquerait la colère d’Hachem. Là encore, nous pouvons voir le lien avec notre génération qui, munie d’Israël et de tsahal a parfois tendance à se sentir en sécurité. Ceci est une erreur, notre sécurité ne provient que de notre pratique de la torah. Et face à toutes les souffrances que nous avons vécues il y a peu, durant la shoah, nous nous posons souvent la question de savoir pourquoi tant de souffrances et de misères ? Cette réaction est de façon miraculeuse ce que décrivent les versets 21 à 27 qui se concluent par : « les choses cachées sont pour Hachem notre Dieu… » car nous ne pouvons comprendre les comptes de Dieu. Cela correspond parfaitement aux tourments du début du siècle 5700, c’est sans doute pourquoi ils sont rappelés au début de la septième paracha. Et c’est suite à cela que la torah entame la conclusion de tous ces tristes évènements (chapitre 30): « ce sera quand t’arriveront toutes ces choses, la bénédiction et la malédiction que j’ai placées devant toi, tu prendras à coeur parmi tous les peuples au sein desquels Hachem ton Dieu t’aura dispersé… Alors Hachem ton Dieu reviendra avec tes captifs, Il aura pitié de toi et te rassemblera à nouveau d’entre tous les peuples parmi lesquels Hachem ton Dieu t’aura dispersé ». La paracha de vayélé’h poursuit les promesses de retour vers Israël et de retour vers Hachem. Notre siècle est donc celui qui entre en corrélation avec une paracha particulièrement évocatrice de la délivrance. Alors bien évidemment nul n’est prophète et personne ne peut prédire l’avenir. Cependant, il s’agit sans aucun doute de choses annonciatrices de moments propices à la venue du machia’h. Alors espérons, prions et que bientôt Hachem écoute nos téfilot et accomplisse Sa promesse de nous libérer amen ken yéhi ratsone.
Chabbat chalom.